Quand la littérature érotique donne des ailes au désir

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Secret Santa, Kiara. Diamant écorché par le sang, À tout jamais, Un automne pour te pardonner… Ces titres de livre ne vous disent peut-être rien. Pourtant, ils figurent parmi les meilleures ventes de la rentrée, selon le site Edistat. Leur point commun ? Tous appartiennent à la littérature érotique, un genre de plus en plus plébiscité, par un lectorat majoritairement féminin.

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On y trouve aussi bien des classiques – Histoire d’O, de Dominique Aury, La Femme de papier, de Françoise Rey, les nouvelles d’Anaïs Nin – que le succès planétaire Cinquante nuances de Grey et le sous-genre de la romance, qu’elle soit « new »(pour souligner sa modernité),« dark »(avec des scènes de violence, des protagonistes tourmentés) ou « romantasy » (se tenant dans un univers fantastique).

Ces lectures m’aident à me vider la tête et à m’évader après une journée compliquée.Marion, éducatrice spécialisée

Marion, 34 ans, éducatrice spécialisée dans un collège, raconte avoir commencé à se plonger dans la littérature érotique à l’adolescence avec le marquis de Sade. Puis, vers l’âge de 20 ans, comme le monde entier avec elle, elle découvre la saga de E. L. James Cinquante nuances de Grey. « Comme je lis aussi beaucoup d’heroic fantasy, avec des univers qui tournent autour du loup-garou, des vampires ou des sorcières, j’ai orienté mes lectures vers ce sous-genre de la littérature érotique. Mais il y a toujours dans ce type de récits une histoire de mâle alpha, alors en vieillissant, ces ouvrages m’attirent moins ! » s’amuse la trentenaire. Aujourd’hui, alors qu’elle prépare des concours de la fonction publique, elle précise qu’elle ouvre ces ouvrages « pour se vider la tête et s’évader après une journée compliquée ».

Évasion et excitation

Comme Marion, beaucoup de lectrices se tournent vers ces lectures parce qu’elles ont un côté rassurant. « J’aime ces histoires où l’on sait très bien comment ça va se finir », confie Andréa. Samantha apprécie de son côté la dark romance, car « il n’y a pas de faux-semblant dans la personnalité des protagonistes et qu’elle permet de montrer que, même avec une personnalité extravagante, sombre ou bouleversée, l’amour peut être trouvé ». Elle ajoute que ses lectures lui permettent de « [s’]évader dans [sa] bulle tout en émoustillant parfois [sa] libido ».

C’est aussi l’expérience de Clémence, 31 ans, qui travaille dans l’édition. Cette passionnée de littérature dévore autant de romans primés que de sagas érotiques. Grande amatrice d’audios pornographiques, elle confie que ces supports écrits ou sonores ont « révolutionné [sa] vie sexuelle » : « Je lis ou j’écoute des contenus érotiques pendant la journée, l’excitation monte jusqu’au soir, et quand je retrouve mon compagnon, c’est le feu d’artifice ! » s’enthousiasme-t-elle.

Un langage pour entrer dans la sexualité

Si Marion, Clémence et Andréa se sont tournées spontanément vers ces lectures, d’autres (hommes compris) pourraient trouver un intérêt à suivre leur exemple. C’est l’avis de nombre de sexologues, qui voient dans ces ouvrages un outil à explorer pour celles et ceux qui s’interrogent sur leur désir, leur sexualité ou souffrent de certains troubles comme le vaginisme.

La littérature érotique n’impose pas d’image toute faite comme peut le faire la vidéo.Margot Fried-Filliozat, sexologue

« Je conseille en général ce type de lecture aux personnes qui ont une faible connaissance d’elles-mêmes ou une standardisation un peu forte de leur désir », confirme Capucine Moreau, sexologue et créatrice de L’École de Capucine, à Toulouse. « La littérature érotique contribue à créer un langage pour entrer dans la sexualité et donne des mots pour décrire à son ou sa partenaire des sensations, ce qui plaît, sans imposer d’image toute faite comme peut le faire la vidéo », explique Margot Fried-Filliozat, sexologue et autrice des Cinq langages sexuels (Robert Laffont).

Ce rôle que peut jouer la littérature érotique dans l’éducation sexuelle d’un lectorat, l’autrice Dahlia Blake, dont le prochain livre sortira en janvier (Albin Michel/collection Nox), en a conscience. « Cette responsabilité est au cœur de ce que j’écris : des récits qui étirent l’érotisme. On sort le désir de l’acte pur et dur ainsi que d’une vision des rapports très hétéronormative pour créer, autour des scènes de sexe, des histoires avec de la tension et des personnages masculins qui représentent l’homme modèle et rêvé des lectrices. »

Remettre en cause les clichés

Ces personnages masculins, appelés « book boyfriends » par le lectorat, indiquent à quel point la lecture d’œuvres érotiques s’inscrit aussi dans un cheminement personnel – et pas uniquement dans le but de pimenter la vie sexuelle de son couple. « La littérature érotique peut être intéressante pour renouveler sa sphère solitaire, en sachant que pendant longtemps, ce genre a été écrit par des hommes », observe Capucine Moreau. Petit à petit, de plus en plus de femmes prennent la plume. D’autres propositions émergent pour remettre en cause des clichés de l’excitation. »

Je me suis beaucoup servie du livre érotique pour contraindre les gens à mettre des mots sur leur sexualité.Flore Cherry, créatrice du salon de la littérature érotique

La sexologue conseille un exercice simple : « Démarrer un récit, fermer le bouquin ou l’écran et imaginer la suite pour prendre possession de l’histoire, voire la coucher sur le papier lors d’un atelier d’écriture. » Flore Cherry, journaliste et créatrice du salon de la littérature érotique, qui se tiendra le 17 novembre à Paris, organise depuis plusieurs années ce type d’ateliers.

« Je me suis beaucoup servie du livre érotique, de l’écriture et de la lecture pour contraindre les gens à réfléchir et mettre des mots sur leur sexualité. Les mots sont le socle de la pensée, et le sexe se vit souvent dans le silence. On ne parle pas forcément des relations, on n’arrive pas à bien comprendre ce qui se passe dans nos cerveaux, nos corps », avance la spécialiste, qui a à cœur de défendre ce genre littéraire auprès du grand public.

Attention aux contenus violents…

Face à toutes ces promesses, la littérature érotique serait-elle entièrement bénéfique ? Pour Margot Fried-Filliozat, il reste un piège à éviter, « celui d’avoir systématiquement besoin de littérature, de fantasme ou de porno pour être excité ». Le sexologue met également en garde contre la dark romance : « Quand on s’expose à de la violence, on risque de mettre notre cerveau en état de sidération, de se faire happer, et de se désensibiliser à ces contenus violents. Ces récits viennent modifier la manière dont notre corps apprend l’excitation, et vient banaliser des pratiques pas très épanouissantes et justes pour nous. »

Pour se protéger, « mieux vaut miser sur la variété », conseille de son côté Capucine Moreau. Bonne nouvelle, il existe aujourd’hui sur le marché de l’édition des récits érotiques pour tous les goûts et même les plus progressistes. Dans son dernier livre, Cucul (Verso), l’autrice et journaliste Camille Emmanuelle délivre une critique féministe de la dark romance tout en offrant… une romance et des scènes de sexe aussi excitantes qu’intelligentes.



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